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Quand il était jeune, l'auteur d'un site et d'une série que nous avons juré de ne pas nommer (c'est écrit en gros sur la bannière) a écrit un bon paquet de NOUVELLES SUR LA BIBLE.Au lieu de les jeter comme le dictait la sagesse, ce crétin a décidé de les publier sur le weB, et donc les voilà.Moi je dis, on l'aura prévenu. |
Déjà en ligne :
Ils s'étaient installés dans une large clairière. Chacun avait amené son offrande, ainsi que du bois pour le bûcher. Caïn s'approcha d'Abel, regarda longuement d'un air fixe et attristé l'agneau que son petit frère avait tué, puis retourna à sa place sans mot dire. « Quoi, fit Abel, qu'est-ce qu'elle a mon offrande ? »
* * *
Le jour de la naissance de Abel, Adam et Eve furent confrontés à un grave problème : l'éducation. Etant les premiers humains sur terre, ils n'avaient aucune expérience sur la manière d'élever un enfant. Le seul exemple dont ils disposaient était celui des animaux qui eux, se reproduisaient depuis longtemps. Adam se mit donc à fébrilement étudier les animaux, leur comportement, leurs coutumes et surtout la manière dont ils s'occupaient de leurs rejetons.
L'éducation sur le modèle du monde animal commença dès la naissance de Caïn. La méthode « lion » fut abandonnée dès le deuxième jour, Eve ayant refusé catégoriquement de lécher Caïn en entier une deuxième fois, et Adam ayant émis quelques doutes sur le côté hygiénique de l'opération. Pour ce qui est de l'alimentation du petit, elle fut calquée sur celle de la plupart des mammifères, c'est-à-dire l'allaitement par la mère, à un détail près cependant qui était que les petits d'animaux n'avaient pas à disputer l'usage du sein maternel à leur père.
Une semaine après la naissance de Caïn, Adam revint avec une théorie très simple sur l'éducation : il expliqua que chez la plupart des espèces du règne animal, la vie du nourrisson se résume à deux activités principales, manger et dormir excepté. La première consiste à courir dans les pattes de sa mère ou de son père afin de les énerver et de prendre des baffes. La deuxième consiste à s'éloigner de ses parents et soit se faire bouffer par un prédateur, soit se noyer dans une rivière, soit se faire écraser par un rhinocéros, soit se perdre et mourir de faim/soif/épuisement, soit être retrouvé par sa mère, soit être recueilli par un autre animal. Cette brillante théorie sur la vie des enfants manquait certes d'aspects pratiques et utilisables, mais elle permit à la famille de s'agrandir d'un ourson sauvé de la noyade, d'un louveteau dégagé du buisson d'épines qui l'emprisonnait et d'une petite gazelle sauvée de la famine par Adam.
L'arrivée de ces nouveaux compagnons eut plusieurs heureuses conséquences : tout d'abord il fut très vite clair que les quatre enfants s'éduquaient très bien tous seuls dans ce nouveau contexte. Le rôle de la mère consistait essentiellement à donner le sein (au petit d'homme uniquement) et à jeter un coup d'oeil rapide sur les petits de temps en temps. Sinon ils se débrouillèrent parfaitement pour apprendre seuls à se battre (entre eux bien sûr), à se renifler les fesses, à manger les feuilles des buissons, à enterrer leur nourriture et à pêcher le poisson d'un coup de patte bien ajusté.
Seule ombre au tableau, Caïn marchait uniquement sur quatre pattes. Il devint vite évident que si l'on comptait uniquement sur ses petits camarades, il ne risquait pas de marcher sur deux pattes un jour. Il était évident aussi que le petit Caïn ne voyait pas une seconde l'intérêt qu'il pourrait bien y avoir à marcher sur deux pattes. C'est pourquoi à deux ans il pouvait battre une antilope à la course (enfin, avait battu une fois une petite antilope malade à la course), pêcher la truite d'un coup de patte, se nourrir de toutes les feuilles et herbes possibles et imaginables, mais le tout sur quatre pattes. Ses parents se demandèrent un temps si tous les hommes sur terre n'allaient pas marcher à quatre pattes, et que pour régner sur le monde animal comme avait dit Dieu, ce serait pas facile, surtout que l'homme n'avait ni griffes, ni fourrure, ni vision à cent quatre vingt degrés, ni queue préhensile, ni ailes, ni nageoires, et un seul estomac. Adam, après y avoir longuement réfléchi se dit qu'il existait certainement un lien entre le règne sur le monde animal et la station debout, et que donc il était crucial que Caïn apprenne à marcher sur deux pattes. Il décida alors de se charger sérieusement de l'éducation de ses fils, enfin de son fils. Eve soupira, et Adam commença les leçons.
Il appela son fils, et ils vinrent tous les quatre. Ceux qui avaient une queue la remuèrent, et ils s'assirent tous en face de lui. La leçon commença bien. Adam prit les mains de Caïn et le fit marcher devant lui en les tenant. Caïn trouvait cela extrêmement drôle, et il ne se lassait pas de marcher ainsi avec son papa. Les trois autres regardaient la scène avec attention. Au bout d'un moment Axel, le loup, qui avait presque la taille adulte, se mit à grogner doucement. Caïn se dégagea des mains de son père, couru à quatre pattes vers son copain et le lécha un coup pour lui signifier qu'il cédait la place bien volontiers. Axel s'avança donc jusqu'à Adam et attendit qu'on lui fasse faire le manège à lui aussi. Ce fut une très longue journée pour Adam. Seule Adèle la gazelle ne trouvait pas cela amusant du tout et était allé bouder toute seule plus loin. Ariel l'ourson fut celui qui s'en tira le mieux puisqu'il fit un mètre, voire un mètre et demi sur deux pattes. Evidemment, Eve s'était esclaffée au récit de la journée, et dans le feu de la discussion qui s'ensuivit, Adam déclara que son fils marcherait, et qu'il en faisait une affaire d'honneur.
Ses efforts payèrent. Ariel l'ourson fut le premier à marcher, puis vint Caïn, et enfin Axel le loup. Adèle boudait en pêchant du poisson au bord la rivière et en les gobant tout crus. L'aptitude à marcher sur deux pattes fut perçue d'une manière variable. Axel le loup trouvait cela complètement nul. Il avait appris pour faire comme tout le monde, mais il était extrêmement pataud sur deux pattes, se déplaçait avec beaucoup d'hésitations et arrivait à tous les coups dernier à la course. Celui qui accrocha le plus fut l'ourson. Il avait découvert que debout sur deux pattes, lorsqu'il sortait ses griffes et grognait un bon coup par surprise derrière quelqu'un, celui-ci s'enfuyait immanquablement en hurlant. C'est avec Adam que son truc fonctionnait le mieux: il sursautait à chaque fois et ses bonds de frayeur étaient extrêmement divertissants. Il usa et abusa de ce nouveau pouvoir, jusqu'au jour où il eut la mauvaise idée d'essayer de surprendre Eve de cette manière.
Lors d'une soirée plutôt calme, il se glissa derrière sa mère adoptive alors qu'elle préparait le souper. Il lui tapa doucement sur l'épaule, et lorsqu'elle se retourna, il se redressa de toute sa hauteur, écarta ses bras et poussa un énorme rugissement. Eve fit un bond de trois mètres et ses membres partirent dans tous les sens à la fois. Elle en lâcha le poisson qu'elle était en train de découper (poisson attrapé par Adèle qui passait son temps à pêcher depuis que tout le monde marchait debout). Elle ouvrit la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, la referma, puis reconnu Ariel. Elle entra alors dans une rage noire, rage de s'être faite surprendre, rage d'être aussi vulnérable, rage de s'être faite avoir par un gamin de quatre ans alors que elle dépassait les six cent depuis trente deux ans exactement. Elle se mit à crier sur le pauvre Ariel qui se fit tout petit et essaya de s'esquiver en douceur, elle lui intima sèchement de ne plus jamais recommencer cela, qu'il n'avait pas à faire peur aux gens, que pour un ours la bonne manière de se tenir c'était à quatre pattes pas à deux, que ce n'était pas la peine de demander qui avait bien pu avoir cette idée saugrenue d'apprendre aux ours à marcher, et elle gifla violemment Ariel. Caïn avait assisté à toute la scène. Il était terrorisé. Il avait déjà vu sa mère fâchée, mais il ne l'avait jamais vue aussi furieuse. Il se mit à pleurer doucement, serra les dents en fermant les yeux lorsqu'Ariel reçut sa baffe, puis il s'enfuit dans les bois à quatre pattes.
Ce jour-là, la vie du jeune Caïn bascula. Il essaya pendant quelques jours de marcher à quatre pattes pour exprimer sa solidarité avec Ariel, mais sa mère lui fit très vite comprendre que les humains marchaient debout, et que donc lui marchait debout, point. Eve ne se remit plus en colère. Elle aussi avait appris quelque chose ce jour-là, qu'elle comptait mettre en pratique plus tard. Quant à Ariel, il refusa de se remettre debout. Eve alla s'excuser auprès de lui et essaya de le consoler, mais rien n'y fit. Il ne se redressa jamais plus.
A mesure qu'ils grandissaient, les liens entre Caïn et ses trois « frères » se relâchèrent. Le jour où ils partirent, Caïn ne fut pas vraiment surpris. Il ne savait pas exactement si la rupture avait pris origine le jour de la première leçon, ou bien le jour de la colère d'Eve, mais il avait senti qu'elle était définitive le jour où il pleura pour la première et la dernière fois de sa vie.
* * *
Abel et Caïn avaient amassé leurs offrandes. Caïn s'approcha d'Abel, et tout en regardant l'agneau d'un air profondément affligé, il lui demanda : « c'est ça, ton offrande ? » Abel se retourna, l'air subitement très inquiet, et fit : "Quoi ?" Sans rien répondre, Caïn retourna à sa place en secouant la tête. Abel détestait quand son grand frère le traitait de la sorte, il en fut très irrité et eut le visage très abattu.
* * *
Peu de temps après le départ d'Axel, Ariel et d'Adèle, Eve accoucha de son deuxième enfant, Abel. Elle avait décidé cette fois de prendre elle-même en main l'éducation de son fils plutôt que de la laisser à des irresponsables ou à des animaux. « Des irresponsables ? » s'exclama Adam. « Parfaitement, des irresponsables ! » répondit Eve avec une lueur de défi dans l'oeil. Adam craquait à chaque fois pour le coup de la lueur de défi dans l'oeil. Il la regarda tendrement, bégaya un peu, soupira et ne sachant plus du tout quoi dire, il se tut. Il faut savoir que Eve était extrêmement craquante avec une lueur de défi dans l'oeil.
Elle éduqua donc Abel toute seule. Adam était bien entendu autorisé à voir son fils chaque fois qu'il le voulait, mais Eve lui avait ordonné de ne pas refiler de mauvaises habitudes à son rejeton. Pas question pour le gamin de renifler les fesses d'autres animaux, de manger les feuilles des arbres ou de pêcher avec ses pattes. Et il n'allait certainement pas attendre deux ans pour apprendre à marcher celui-là. Et pas d'animaux à la maison pour lui donner de mauvaises habitudes. Et fini l'éducation libérale dont on ne pouvait qu'espérer qu'elle n'ait pas de conséquences traumatisantes définitives sur le petit Caïn. Et viens ici pourquoi tu es si sale, baffe, on ne se roule pas n'importe où comme d'autres bons à rien que je ne citerai pas, rebaffe.
La vie de Abel fut donc extrêmement balisée. Tous les gestes quotidiens lui furent patiemment appris, ainsi que l'ensemble des rites auxquels tout être humain normal doit se conformer. D'abord, on chasse avec une canne à pêche, assis calmement au bord de la rivière. Bien sûr, il faut cultiver son corps, apprendre la course, le saut, mais on ne court pas avec les animaux, on ne fait pas des concours de sauts avec les singes. On mange bien proprement après avoir soigneusement lavé son manger à la rivière, dans le courant, là où l'eau est la plus claire. On s'essuie après avoir fait caca. On est poli avec les voisins. Etc., etc..
Abel acceptait tout à fait son éducation, et était un élève très appliqué. En récompense, il avait acquis le statut, en reprenant les termes de son père et de son frère, de « chouchou à sa maman ». C'étaient ces derniers qui avaient le plus de mal à accepter cette éducation. Adam parce que non seulement il était dépossédé de l'éducation de son fils et que ses méthodes d'éducation étaient clairement dénigrées, mais surtout parce que dorénavant il avait dû adopter quelques unes des brillantes notions d'hygiène inventées par sa femme. Caïn lui râlait parce qu'il ne voyait pas pourquoi sa mère s'emmerdait tant pour cette lopette.
Pourtant, pendant que Eve s'occupait de son frère, Caïn se la coulait douce. Il gambadait dans les prés, se roulait parfois dans la boue, courait souvent à quatre pattes mais jamais en présence de ses parents parce que si sa mère le voyait comme ça, il n'osait pas imaginer. Comme ils étaient les premiers humains sur terre, Caïn n'avait pas de copains et était obligé de jouer tout seul. Il tenait de son père une forte délectation à observer la nature sous toutes ses formes, les moeurs des autres animaux, les édifices des fourmis, le vol des oiseaux, etc. Parfois ils observaient ensemble, confrontant leurs points de vues et leurs expériences des animaux, et gardant leurs conclusions pour eux parce que les gonzesses, ça comprend rien aux problèmes importants de la vie.
Au début, Caïn ne jouait pas avec son frère parce que celui-ci était trop petit («et trop con surtout »). Mais à mesure qu'ils grandissaient, leur différence d'âge se fit moins pesante. Ils se retrouvèrent donc de temps en temps à jouer ensemble. Ou plus précisément, Caïn admit que Abel pouvait jouer avec lui, «pourquoi pas, de toute façon, je n'ai pas le choix ».
Leur premier jeu s'appelait «t'es pas cap' ». Caïn disait à Abel qu'il n'était pas cap' de sauter dans une merde de mammouth, et Abel protestait en disant que bien sûr que si qu'il était capable, et Caïn disait «ça m'étonnerait », et Abel sautait à pieds joints dans une merde de rhinocéros, et disait «tu vois que je suis cap' » et Caïn répondait que tout le monde voyait bien que c'était une merde de rhinocéros, que ça ne comptait pas, et qu'il ne comprenait pas comment Abel pouvait imaginer le berner avec des trucs aussi stupides, qu'il ne savait vraiment pas ce qu'il avait fait au bon Dieu pour écoper d'un frère aussi bête, et Abel se mettait à crier en pleurant que c'était pas vrai, qu'il n'était pas bête, alors Caïn lui souriait, le prenait par l'épaule et lui disait « moi je veux bien te croire, pourquoi pas, peut-être bien que tu es cap' de sauter dans une merde de mammouth, mais Dieu, lui, te croit-il ? Lui, tant que tu ne le lui auras pas prouvé, il ne croira pas que tu peux sauter dans une merde de mammouth, il va penser que tu le prends pour un con et il va se fâcher. Tu ne veux pas encourir la colère de Dieu ? », et Abel se remettait à pleurer de plus belle en disant que non, il ne voulait pas provoquer Dieu, et qu'il allait tout de suite le lui prouver en sautant dans une merde de mammouth, et ça sera pas une merde de rhinocéros, fais-moi confiance Seigneur, et il partait alors et revenait plusieurs heures plus tard couvert de merde de mammouth, le regard étincelant de fierté en disant « je l'ai fait, j'ai prouvé à Dieu que je suis cap' », et Caïn lui répondait « d'accord, mais ne t'approche pas de moi, tu pues la merde, c'est une infection », et Abel se précipitait sur son frère en criant « c'est pas vrai, je pue pas, t'es un menteur et Dieu va te punir », et Caïn en rigolant disait que « Dieu sentira bien qui c'est qui pue » et Abel se mettait à pleurer en essayant de le frapper et Caïn lui foutait une baffe, Abel criait de plus belle, Eve arrivait, elle mettait une baffe à Caïn, elle mettait deux baffes à Abel « mais dans quel état tu t'es mis », et Abel pleurait qu'il avait fait ça pour le Seigneur et Eve lui mettait une autre baffe.
* * *
- Il est pas terrible ton bûcher, fit Caïn.
- Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire ? D'abord il est très bien mon bûcher ! Je vois pas pourquoi il aurait un problème mon bûcher !
Caïn fit un grand sourire protecteur à l'adresse de son petit frère :
- Moi ce que j'en dis, c'est pour toi surtout. Quant on s'appelle Dieu, on n'accepte pas des offrandes faites sur un bûcher disposé n'importe comment... Enfin moi ce que j'en dis, c'est pour toi, hein ? Il est pas si mal que ça ton bûcher remarque... Et puis est-ce vraiment la peine que tu te fatigues, vu ce que tu offres... Oui, tu peux le laisser comme ça finalement, ça ira très bien.
Abel jeta un regard noir à son frère, puis il démolit rageusement son bûcher à coup de pieds et entreprit de le reconstruire, en rajoutant quelques solides bûches soigneusement sélectionnées. Enfin, toujours en grommelant, il embrocha son agneau, le disposa sur deux piquets fourchus, se recula, regarda son oeuvre d'un oeil critique, puis se rapprocha à nouveau pour ajuster deux ou trois bûches qui n'étaient pas correctement alignées.
* * *
Caïn avait inventé un autre jeu qu'il appela « cache-cache ». Un des deux frères devait se cacher, et l'autre devait le retrouver. Le jeu se déroulait la plupart du temps dans un bois. C'était toujours Abel qui se cachait en premier. Son exécrable connaissance de la nature et son incapacité totale à dissimuler quoi que ce soit, y compris lui-même, en faisaient une proie facile pour Caïn. Ce dernier, même sans tricher, ne mettait jamais plus de deux minutes à retrouver son frère. Arrivé près de la cachette, il commençait un numéro dont les grandes lignes ne variaient jamais beaucoup : « Abeeeeeeel ! ! ! ! » faisait Caïn d'un voix sourde. Il voyait alors des herbes hautes remuer bizarrement, ou bien un arbre frémir ou un quelconque autre indice de la cachette exacte de son frère. Il continuait : « AAAABEL, Dieu m'a guidé vers TOI... Tu ne peux m'échapper... ». Le mouvement des herbes trahissait une agitation fiévreuse. « DIEU VOIT TOUT. DIEU SAIT TOUT. Comment crois-tu pouvoir échapper à son regard, pauvre mortel ! » Les herbes commençaient à gémir doucement. Caïn sortait alors sa grande phrase avec une voix d'outre tombe : « AAAABEL, L'OEIL DE DIEU EST SUR TOI! ! ! ! ! ». Les herbes gémissaient et reniflaient. « Tu crois que Dieu ne t'as pas vu te curer le nez ? Mais DIEU te voit à chaque instant, croire pouvoir échapper à son regard est un péché d'orgueil ! ! ! ! ! l'IL de Dieu est sur toi Abel. Dieu te voit et il me dit tout de toi ! JE SAIS TOUT ABEL, VOIS MON OEIL ! ! ! ! ! ! » A cet instant, Abel bondissait immanquablement de sa cachette en hurlant de terreur et en criant « Non, non, je n'ai pas péché, pardonne-moi mon Dieu ! ». « Mais L'OEIL te voit, faisait Caïn en fermant un oeil et en agrandissant démesurément l'autre, oeil SAIT ! ! ! ». Abel criait, pleurait, se roulait par terre en hurlant, Caïn faisait oeil deux ou trois fois, puis il consolait son frère, lui disait que Dieu lui pardonnait pour cette fois-ci, mais qu'il avait perdu puisque Caïn l'avait trouvé, et que maintenant c'était à lui de chercher, allez, tu comptes jusqu'à 100.
Commençait alors la seconde partie du jeu. Caïn ne se cachait pas, il rentrait à la maison, ou il partait jouer avec un de ses amis animaux qu'il revoyait de temps en temps en cachette. Pendant ce temps, Abel cherchait. Il cherchait longtemps, et ne trouvait jamais. N'ayant aucun sens de l'orientation, il se perdait systématiquement, et ne retrouvait le chemin de la maison qu'après un ou plusieurs jours. Lorsqu'il rentrait, Caïn l'attendait tranquillement, et le regardait d'un air surpris. Abel demandait à Caïn où il s'était caché, Caïn répondait qu'il n'allait certainement pas divulguer une aussi bonne cachette, mais que ce n'était pas vraiment le problème, parce que ce qu'il lui semblait à lui, c'est que Abel s'était encore perdu, non ? Abel criait que c'était pas du jeu, que Caïn avait des cachettes trop difficiles, ce à quoi Caïn répondait que Abel aussi pouvait choisir des cachettes difficiles, mais qu'avec l'aide de Dieu, on trouvait toujours. A ce moment là de la discussion, Abel partait furieux, pendant que Caïn se demandait à haute voix si son frère croyait vraiment assez en Dieu. Et Abel ne parlait plus à Caïn pendant au moins deux jours.
L'enfance des deux frères s'écoula donc au rythme de ces petits jeux. Caïn cultivait l'art d'effrayer son frère, et cet art atteint un paroxysme le jour où il reçut en cadeau un costume de cyclope. Dès lors, et jusqu'à ce qu'il soit plus âgé, la vie de Abel fut ponctuée de terrifiantes apparitions de « l'IL » : lorsqu'il se réveillait, lorsqu'il était au petit coin mais surtout et toujours lorsqu'il s'y attendait le moins.
Comme tous les jeux d'enfants, ceux-ci s'arrêtèrent un jour. Il est difficile de savoir si c'est lorsque Caïn se lassa d'effrayer Abel, ou si c'est parce que Abel commençait à savoir se maîtriser et que ça devenait moins drôle de le faire enrager. Toujours est-il que les deux frères grandirent, et se trouvèrent chacun avec un métier à inventer. Abel devint pasteur ; il élevait du petit bétail. Caïn cultivait le sol. Comme les deux frères étaient avec leurs parents les seuls humains sur terre, ils ne se firent pas de copains et ne prirent point femme. Caïn voyait néanmoins de temps en temps ses amis d'antan ; Axel le loup l'aidait souvent à garder son troupeau, et ils parlaient ensemble du bon vieux temps, de leurs courses en forêt et de toutes les conneries qu'ils avaient pu faire ensemble. Mais en réalité, Caïn et Abel s'emmerdaient ferme.
Un jour, Caïn eut une idée. Il proposa à son frère de faire une offrande à Dieu. Abel, qui se méfiait toujours à priori des idées de son frère trouva d'abord le concept d'offrande totalement ridicule. Mais Caïn lui expliqua le principe : il fallait sélectionner le meilleur de sa production et le sacrifier à Dieu. Certes, faire brûler quelques carottes et immoler un agneau n'étaient pas des actions significatives en elles-mêmes, mais elles permettraient de montrer au Tout Puissant la faculté de don de soi et de sacrifice, d'exalter la générosité, tu vois ? Abel fut littéralement emballé par l'idée : pouvoir prouver à Dieu tout son amour d'une manière aussi simple lui transporta l'esprit. Et c'est tout joyeux qu'il se mit à l'ouvrage.
* * *
Abel avait sélectionné son agneau le plus beau et le plus dodu, et il l'avait tué lors d'une sorte de cérémonie qu'il avait organisée pour l'occasion. Il embrocha la bête avec un soin immense, dans le sens est - ouest qui était forcément le plus favorable « parce qu'on suit en quelque sorte le trajet quotidien du soleil, de quand il se lève à quand il se couche, tu vois ? » Caïn n'avait ni approuvé ni dénigré, il le regardait et l'écoutait juste avec beaucoup d'attention, une lueur d'amusement dans oeil. Cette attitude encourageait beaucoup Abel, qui s'était totalement lâché pour l'occasion, et usait de son imagination dans tous les sens. Par exemple, le lieu d'implantation du bûcher était le croisement de deux lignes imaginaires, une qui reliait les deux arbres les plus anciens de la forêt, et l'autre avait une origine et une destination des plus fumeuses que Caïn n'avait pas retenue.
Le bûcher était évidemment triangulaire (« évidemment ? » avait fait Caïn. « Ben oui, évidemment » avait répondu Abel, l'air faussement excédé). Il était clair que le feu devait prendre origine presque simultanément des trois côté du bûcher (« pourquoi presque simultanément ? » « Ben parce que pour que ça soit totalement simultané, il faudrait qu'on soit trois, et là c'est pas possible » « Ah oui, bien sûr »). Mais Caïn avait eu une idée brillante, et il en avait fait immédiatement part à son frère.
- Tu vois, le problème, c'est que pour que l'allumage soit simultané, il faudrait allumer le bûcher des trois côtés à la fois, ce qui est effectivement impossible, puisque tu refuses - je ne veux pas savoir pourquoi - de mêler les parents à l'affaire. Mais j'ai trouvé la solution, qui est justement contenue dans l'énoncé de ton problème : l'allumage simultané est impossible, donc on doit partir du principe que l'on ne peut pas faire partir les trois feux en même temps - tu me suis ? - Donc, comment obtenir un allumage simultané en allumant les trois feux avec un décalage de quelques instants ?
Abel écoutait les yeux écarquillés son grand frère. Il buvait ses paroles. Comme Caïn s'était arrêté de parler, il dit très doucement comme en écho : « comment ? »
- L'allumage simultané du bûcher étant totalement impossible, il suffit de ne pas allumer le bûcher, et tout s'éclaire ! (Comme le visage de Abel ne s'allumait pas vraiment, Caïn poursuivit) Pour t'expliquer, je vais avoir recours à une parabole (Abel prit subitement un air soucieux, comme si le recours à une parabole compliquait irrémédiablement la situation. Caïn se dit que le plaisir qu'il avait eu en trouvant subitement la solution restait très faible devant le plaisir qu'il prenait en contant l'explication à son frère). Si sur le flan d'une colline, trois personnes lâchent d'un même hauteur trois boules en même temps, les trois boules arriveront forcément simultanément en bas de la colline, et c'est normal. Mais si une des boules et lâchée avant ou après les autres, elles arrivera alors avant ou après les autres, c'est simple pour l'instant. Maintenant nous disposons les trois comiques qui jouent avec des boules en étages le long de la colline. Le premier est un mètre plus haut que le second, et deux mètres plus haut que le troisième. Bon, la première fois ils lâchent leur boules simultanément, et celle du plus bas arrive en premier, celle du plus haut en dernier, forcément. Mais le travail portant sur la simultanéité à l'arrivée, nos trois compères réfléchissent et conçoivent un plan. Pour te narrer ce plan, je vais avoir recours à une seconde parabole - non, je déconne ! Bon, les trois zozos réfléchissent, et le moins con des trois trouve la solution : il faut d'abord lâcher la boule du haut, puis après un certain temps la seconde, et enfin la troisième, et elles arriveront à peu près ensemble en même temps. Tu vas me dire, si pour arriver à du « à peu près » simultané, c'était pas la peine (Abel avait les yeux fixés sur son frère et il n'avait plus cligné des paupières depuis le premier lâcher de boules. Sa mâchoire inférieure pendouillait et il bavait un peu). Tu penses : « le problème, c'est quand exactement faut-il lâcher les boules ? Pourquoi on ne les lâcherait pas au moment où la boule supérieure passe au niveau de la main qui tient la boule inférieure ? » Là tu me déçois, Abel, la boule supérieure a pris de la vitesse en descendant et lorsqu'elle arrive au niveau de la boule suivante, elle va vite alors que l'autre part de la position immobile, le combat est inégal, elles n'arriveront pas en même temps. Le seul moyen dont disposent nos trois cobayes c'est l'expérimentation. En faisant des essais et en lâchant la deuxième boule à des moments inclus entre le moment du départ (non compris) et le moment du passage au niveau de la seconde (non inclus non plus, on a vu que c'était pas possible), il finiront par trouver à quel moment précis il faut lâcher la seconde balle pour que les deux arrivent en même temps, hop, ils font une marque au niveau où se situe la première boule dans sa descente pour avoir un « top ! » physique, et ils recommencent le processus avec la troisième boule.
Abel était catastrophé : non seulement la méthode Caïn lui semblait affreusement compliqué rien que pour des boules, mais il ne voyait pas du tout le rapport avec l'allumage du bûcher, sauf à allumer le bûcher avec des boules lancées d'une colline, mais non seulement il ne pouvait pas imaginer comment des boules pouvaient allumer un feu, mais en plus il fallait être trois, ce qui était complètement stupide puisque le problème était du fait qu'ils n'étaient pas trois.
- Pour ton feu, c'est pareil. Mais en beaucoup plus simple, et en plus tu vas pouvoir allumer ton bûcher tout seul puisque en fait c'est ça que tu veux. Oui, au passage, j'ai compris pourquoi : tu dois être seul à allumer ton bûcher, pour qu'il ne puisse y avoir confusion sur le fait qu'il s'agit de ton offrande que tu as faite et allumée tout seul, hein, avoue coquinou ! Bon, on s'en fout. Comme tu as probablement dû l'intuiter, il faut qu'en allumant trois feux à trois moments différents, ils arrivent au bûcher au même moment, tu captes ? C'est bon, t'évanouis pas, j'explique : tu traces deux cercles concentriques éloignés d'un mètre l'un de l'autre, celui du centre étant à un mètre du bûcher, et leur centre étant aussi celui du triangle équilatéral que forme le bûcher. Tu traces ensuite des perpendiculaires aux côtés du bûcher et issues du centre, donc trois droites que tu recouvres d'environ quinze centimètres de paille. La première droite va plus loin que le cercle le plus éloigné d'environ un mètre (la distance exacte n'est pas importante), la deuxième droite qui part du deuxième côté s'arrête au niveau du cercle extérieur, la troisième au niveau du cercle inférieur (tu suis ?) Tu évite qu'il y ait du vent sinon c'est foutu et tu mets le feu au chemin de paille ainsi créé le plus long, et avec ta torche tu vas au deuxième chemin de paille et tu attends. Lorsque le feu a consumé la paille du premier chemin jusqu'au cercle extérieur, tu mets alors immédiatement le feu au deuxième chemin, et miracle, ils partent vers le bûcher en même temps et à la même vitesse, et ils vont atteindre ensemble le troisième cercle et pchitt tu mets le feu au dernier chemin et le miracle s'accomplit, les trois chemins se consument au même rythme et atteignent par conséquent le bûcher en même temps, ou sinon tu auras quand même fait de ton mieux.
Abel était radieux. Il avait compris. C'était évident. Il construisit donc son bûcher avec les deux cercles et les trois chemins de paille. La chance étant avec eux, il n'y eut pas de vent et Caïn eut la satisfaction de voir que son système fonctionnait à merveille. Le bûcher s'alluma donc simultanément des trois côtés, et Abel était tout heureux.
Caïn quant à lui avait disposé quelques fruits sur un plateau de bois posé sur un bûcher approximatif, et il y mit le feu d'un seul côté sans autre forme de procès.
Alors que le feu dorait doucement l'agneau, Caïn s'approcha de son frère en extase d'un air dubitatif. Ses yeux regardaient fixement la bête. « C'était ma plus belle bête », fit Abel. « Hum », fit Caïn. Il quitta l'agneau des yeux pour le désigner du doigt, et s'adressant à son frère, il dit : « c'est quoi ça ? » « Ben c'est mon sacrifice », fit Abel soudain inquiet. « Pour moi, ça ressemble plutôt à un méchoui qu'à une offrande », dit Caïn. « Mais j'élève des bêtes, fit Abel, je suis bien obligé de sacrifier une bête, et on avait dit que pour les offrandes, on faisait brûler !» Caïn regarda Abel dans les yeux : « tu n'est pas en train de la faire brûler, tu es en train de la faire cuire, faut pas prendre Dieu pour un con ! »
Abel commença à crier qu'il ne prenait pas Dieu pour un con, et que s'il le fallait il allait le faire cramer son agneau, qu'on ne risquait pas de confondre avec un méchoui, mais tout à coup, Caïn se figea sur place. Ses mains se joignirent et il leva son visage vers le ciel. Ses yeux s'illuminèrent, un sourire extatique naquit sur son visage. Abel crut même distinguer comme un halo de lumière autour de son frère. Le regard de Caïn resta fixé un long moment sur un point dans le ciel. Parfois, son sourire s'agrandissait. Il hochait très doucement la tête par moments. Il prononça quelques mots, mais Abel ne les entendit pas. Puis Caïn articula à son tour quelques mots d'une voix très basse, ses mains se desserrèrent et il baissa légèrement le tête, les yeux perdus dans le vide. Il semblait en extase.
Lorsque Caïn se rapprocha de son frère, ce dernier regardait le ciel avec anxiété.
- A mon avis c'est foutu, dit Caïn, il ne viendra plus. Enfin, c'est pas vraiment qu'on se posait la question avant, hein petit frère, mais maintenant on en est sûr : Dieu n'aime pas qu'on tue les animaux.
Abel avait la gorge serrée. Il ne répondit pas.
- Je dirais même, poursuivit Caïn, qu'il aime les légumes, surtout mes légumes. Tiens, tu sais ce qu'il m'a dit, comme ça, en toute simplicité ? Il m'a regardé dans les yeux et il m'a dit : « Ils sont super tes légumes, Caïn. Ca c'est ce que j'appelle une offrande. » Sympa le mec, non ? C'est vrai quoi, quand on écoute ta mère, on le croirait colérique, impitoyable, voire hystérique, alors que c'est tout le contraire.
Abel ne répondit toujours pas. Ses mains se crispèrent.
- Tu m'as l'air un peu tendu, frérot, continua Caïn. Tu sais, je ne sais pas si je dois te le dire, mais... Dieu m'a parlé de toi.
Abel bondit sur ses pieds. Ses grands yeux s'ouvrirent, son visage s'illumina. Il agrippa respectueusement la veste de son frère et lui demanda :
- C'est vrai ? Caïn, répète-moi ce qu'il t'a dit ! Je t'en pris dis-moi tout !
Caïn se gratta la tête d'un air concentré.
- Et bien donc il a parlé de mon offrande. Il m'a largement complimenté, il a dit qu'il était sûr que grâce à moi, la terre serait un jour verdoyante. Et puis après, attends, qu'est-ce qu'il m'a dit exactement ? Ah oui ça y est !
- Raconte vite !
Il a dit : « Tu connais le type à côté de toi ? » Moi je lui ai répondu : « Oui je le connais, c'est mon frère.»
Le visage de Abel s'illumina d'un sourire de reconnaissance. Caïn poursuivit :
Et là Dieu m'a répondu : « Qu'est-ce qu'il fout ton frère ? Il a pas l'impression que ça fait tâche d'organiser un méchoui juste à côté de ton offrande ? »
Abel se jeta sur son frère et ils commencèrent à se battre comme ils l'avaient fait tant de fois dans leur enfance. Mais les adultes sont plus fragiles, plus excessifs que les enfants. Durant la bagarre qui s'ensuivit, la tête de Abel heurta accidentellement une pierre et il s'éteignit doucement.
Si Abel avait laissé parler son frère quelques instants de plus, il aurait su ce qui clochait chez lui : il avait un problème de communication avec les gens.
PHIIP
C'est la voix doucereuse du chef de cabinet du Roi qui ouvrit
la séance :
- Messieurs, je suis tout à fait conscient du fait que
tout le monde ici est un peu fatigué. Pour moi également,
la nuit fut très courte, mais la Tour n'attend pas ! Tous
ensemble, nous allons dès maintenant poursuivre notre grand
uvre. Je déclare ouvert le groupe de travail du vingt
sixième étage !
Quelques grognements se firent entendre. Un des deux philosophes
grogna un " pas si fort s'il vous plaît, ma pauvre
tête. " L'astrologue en chef du Roi se plaignit que
l'astre du jour brillait un peu trop fort à son goût.
Les deux ingénieurs en chef étaient affalés
côte à côte sur la grande table de réunion.
Le deuxième philosophe murmura que programmer la première
séance du GT 26 le lendemain de la fête d'inauguration
du vingt cinquième étage était certes assez
top d'un point de vue symbolique, mais peu pragmatique si on y
réfléchissait deux secondes. Même l'astrologue,
après avoir expliqué que les astres étaient
hyper-favorables aujourd'hui, se demanda si ça pouvait
compenser la gueule de bois, et que peut-être on pourrait
remettre le GT à un jour qui serait encore plus favorable,
non ? Quelques hochements de tête timides et mal assurés
approuvèrent cette suggestion, mais le chef de cabinet
restait impassible.
- La date de cette réunion s'est décidée
au plus haut niveau, affirma-t-il, ce n'est pas à nous
de discuter de sa validité. Je propose que messieurs les
ingénieurs nous présentent les résultats
de leurs calculs préalables sur la solidité de la
Tour et les contraintes pour l'édification du E 26. A vous
messieurs, ajouta-t-il d'une voix plus forte pour les réveiller
!
Les interpellés sursautèrent, et le premier releva
la tête. Il ouvrit sa sacoche avec un énorme bâillement
qu'il ne tenta pas de dissimuler, en sortit plusieurs parchemins,
cligna ses tout petits yeux rougis par la fatigue, se gratta le
sein gauche à travers sa tunique avec ostentation, et ayant
sélectionné et déplié un parchemin,
il hasarda d'une voix pâteuse :
- Ben en gros c'est bon. La Tour tient bien, sinon nous ne serions
pas ici dans cette pièce neuve qui ressemble vaguement
à une salle d'athlétisme.
L'architecte se leva, brusquement réveillé par ces
paroles. Il leva le bras pour intervenir, mais le chef de cabinet
lui fit clairement comprendre d'un geste de la main excédé
qu'il parlerait à son Tour. L'ingénieur dissimula
un léger sourire et continua :
- Non, sérieusement y'a pas de lézarde, hé
hé hé. Les tests sont concluants, on a de la marge
pour l'instant. Et puis de toute façon, tant que ça
tient on joue, non ? Non, sérieusement, la Tour pourra
supporter sans mal les dix prochains étages. Ceci dit,
on n'est pas encore au ciel et je tiens à rappeler que
les structures porteuses ont été nettement sous
- dimensionnées. D'ailleurs, je l'avait déjà
dit, la totale contradiction entre l'ambition de cette Tour et
les moyens qu'on nous donne...
- Vous l'aviez déjà dit, l'interrompit le chef de
cabinet, et tout le monde l'a clairement entendu, nous en avons
déjà discuté et je crois que tout le monde
ici a largement capté votre problème. Vous l'avez
dit lors de l'édification des fondations, vous l'avez dit
en introduction au GT 1 et à chaque séance qui s'en
est ensuivie, vous l'avez dit au GT 2, puis au GT 3, jusqu'au
GT 25. Je crois que vous l'avez dit à chaque réunion
de GT, et je pense que je parle au nom de tout le monde en disant
que cela restera comme une sorte de tradition au sein du groupe,
mais aujourd'hui, je propose qu'on innove. On va faire COMME si
les structures de Tour étaient correctement dimensionnées,
d'accord ?
Le " COMME " du chef de cabinet était nerveux
et violent, et appuyé d'un regard destructeur et explicite
vers l'ingénieur. La conclusion de la phrase suggérait
très fortement que la seule réponse possible était
" oui, d'accord. " En temps normal, l'ingénieur
se serait certainement écrasé, mais le ton ironique
du chef de cabinet le titillait, et il ne put s'empêcher
de répondre :
- Mais elles ne le sont pas ! Dans dix étages, pas un de
plus, je vous le dis, dans dix étages on aura des problèmes
insurmontables de structures, c'est moi qui vous le dis ! On va
être obligés de construire des grosses piles à
l'intérieur des belles salles de mOOsieur l'architecte
pour reprendre le poids des étages n + 37, voire carrément
d'édifier des renforcements latéraux qui reprennent
les charges additionnelles ! Moi je vous le dis, ça coûtera
la peau du cul au contribuable ces conneries, j'en connais qui
vont en chier pour passer le budget - il regardait le chef de
cabinet dans les yeux -, mais si on se comporte en adultes responsables
et que l'on prend le problème à bras le corps tous
ensemble dès maintenant, on doit pouvoir rattraper un peu
le coup et assurer facile vingt étages supplémentaires
à moindre frais ! Oui ça coûterait cher, mais
à côté de ce qu'on va débourser dans
dix étages, c'est RIEN ! QUEUE D'ALLE ! Simplement je signale
que dans trois étages, ce sera définitivement trop
tard, faudra pas venir pleurer, moi je vous aurais prévenus
! C'est pas au GT 29 qu'il faudra s'inquiéter, c'est maintenant
!
Le chef de cabinet allait répondre, mais alors qu'il poussait
un énorme soupir en guise d'introduction, l'architecte
le précéda :
- Je pense que nous avons tous saisi votre point de vue monsieur
l'ingénieur, exposa-t-il calmement. Mais l'assemblée
ici s'est prononcée différemment, et ses propositions
ont été validées au niveau politique, ce
qui signifie que nous avons choisi une autre direction. Et je
me vois de plus obligé de vous rappeler que l'état
actuel des recherches en résistance des matériaux
ne permet pas de calculer le dimensionnement des piles de soutènement
pour un ouvrage de la taille de la Tour. D'ailleurs, si on regarde
la marge d'erreur de VOS PROPRES CALCULS, nous nous trouvons A
L'INTERIEUR DE LADITE MARGE, ce qui signifie que l'on n'est pas
sûr qu'un dimensionnement plus conséquent soit nécessaire
! Le delta est négligeable, si je puis m'exprimer ainsi.
Je suis désolé d'employer des termes aussi techniques,
messieurs, mais il y a des choses qu'on ne peut pas laisser passer.
Le second ingénieur s'interposa et il répondit en
s'adressant au chef de cabinet pendant que son collègue
s'étranglait d'indignation :
- Certes, la marge d'erreur existe, et nous l'avons calculée.
Je signale d'ailleurs que nous la connaissons très précisément.
L'idée de notre démonstration est qu'il faut se
placer sur le long terme. Prévoir grand laisserait une
plus grande liberté dans la conception, car...
- la conception ? hurla l'architecte. mais qu'est-ce que vous
y connaissez VOUS à la conception ? ne me parlez pas de
conception, vous n'y connaissez absolument rien ! chacun son travail
! est-ce que je dimensionne des piles, moi ?
Le premier ingénieur agitait les bras dans tous les sens,
et le second grogna :
- Parfaitement que vous dimensionnez des piles, d'ailleurs ici
tout le monde dimensionne les piles, tout le monde est un ingénieur
ici, alors je vois pas pourquoi je pourrais pas faire de conception
moi.
Suite à cette réponse, les deux ingénieurs
se murèrent dans un silence obstiné, les bras croisés,
enfoncés en arrière dans leurs sièges, leurs
yeux ne regardant rien d'autre que leurs notes de calculs. Un
philosophe vint à leur secours :
- D'un autre côté c'est vrai que ça semble
logique. Aucune des activités concernant la construction
de la Tour ne peut s'affranchir des autres. Conception, dimensionnement,
financement et sens par exemple sont indissociables. Le statut
tabou et privilégié de la " conception "
pure et dure est peut-être à revoir.
- Ouais, fit le Grand Prêtre, si Dieu a voulu que les architectes
fassent du dimensionnement, c'est bien pour que les ingénieurs
fassent de la conception eux aussi. J'aurais d'ailleurs quelques
questions à poser sur le manque de, comment dire, de "
sacré " des formes du E25. Cet étage manquait
de manière flagrante de, comment dire, de punch religieux
si je puis m'exprimer ainsi. Ce temple que nous élevons
à la gloire du Seigneur ressemble par certains aspects
à une, comment dire, à une halle aux bestiaux, voilà.
Une halle aux bestiaux, ajouta-t-il, très fier de l'image
qu'il venait de trouver.
Les deux ingénieurs rigolaient franchement, et l'architecte
était fou de rage. Un philosophe murmura à son collègue,
assez fort pour que le chef de cabinet l'entende, que l'image
de la halle aux bestiaux convenait parfaitement à un édifice
religieux et qu'il ne voyait pas pourquoi le Grand Prêtre
se plaignait. Le chef de cabinet ne put réprimer un sourire.
L'architecte était devenu tout violet, il frappait à
toute volée du poing sur la table pour exiger le silence.
Il se mit à crier, et ses phrases étaient hachées
de hoquètements incontrôlés. Le Grand Prêtre
se demandait ce qui se passait, et les autres ne cherchaient pas
à dissimuler un sourire.
- mais j'aimerais bien savoir ce que vous y connaissez à
la conception, tous autant que vous êtes ! Sachez que concevoir
c'est un métier, messieurs, c'est pas de la rigolade, ça
ne s'improvise pas ! C'est pas le premier édifice religieux
que je fais, et ce n'est certainement pas le dernier, c'est pas
pour rien que le roi en personne m'a choisi ! alors chacun discute
de ce qu'il connaît et les vaches seront bien gardées
! Moi je ne fais ni prêche ni politique, alors vous me lâchez
avec la conception d'accord ? Et pour finir, permettez-moi d'ajouter
que la Tour ne ressemble certainement pas à un hangar à
bestiaux !
Il avait hurlé cette dernière phrase en regardant
le Prêtre dans les yeux, et celui-ci s'était tassé
sur son siège, cherchant de l'aide à droite et à
gauche. L'architecte se rassit, sa figure était presque
noire et ses yeux injectés de sang. Il n'avait pas quitté
le Prêtre des yeux et son regard semblait dire que s'il
avait décidé que le vingt sixième étage
ressemblerait à une grange, alors il ressemblerait à
une grange, point à la ligne. Pour mettre fin à
la conversation, il ouvrit son sac, en sortit une petite brique
jaune et regarda l'ingénieur droit dans les yeux. Celui-ci
démarra au quart de Tour : il se leva brusquement les deux
mains à plat sur la table, puis reprenant son calme, il
dit doucement :
- Oh ben que voilà ? Une nouvelle brique. Jaune. Comme
elle est jolie.
Un murmure parcouru l'assistance. Le chef de cabinet regarda la
brique d'un il mouillé.
- Voici la brique du E26, déclama l'architecte avec emphase.
L'ingénieur s'était saisi de ladite brique. Il l'avait
soupesée et mesurée, puis il avait donné
les mesures et poids approximatifs à son collègue
qui s'était plongé dans un de ses papyrus. Il discutèrent
quelques secondes entre eux sous les yeux de l'assistance toute
entière, puis l'ingénieur rendit sa sentence :
- Impossible. Il est impossible de construire un étage
entier avec ce type de brique. Par contre, elle sera parfaite
comme décoration. On en recouvrira les parois extérieures,
ça fera très joli, et tout le monde sera content.
Bon, je propose qu'on parle des circulations maintenant, parce
qu'on a...
L'architecte s'était encore levé :
- Comment ça de la décoration ? Le concept que j'ai
choisi pour le E26 est justement de réaliser l'ensemble
des structures, du pavage et des revêtements de parois avec
un matériau unique. La couleur jaune est une métaphore
du soleil, son utilisation exclusive symbolise le lien entre la
terre et le ciel, illustrée notamment dans la non - dualité
sol/plafond, puisque ceux-ci seront réalisés dans
le même matériau. A la fois terre (d'où nous
venons) et ciel (où nous allons), cette petite brique jaune
symbolise la Tour elle-même puisqu'elle réalise seule
l'impossible jonction. Cet étage nous rapprochera plus
du ciel par le biais de simples briques qu'aucun des autres étages
n'a pu le faire. Il n'existe aucune possibilité de choix,
messieurs, c'est cette brique ou rien.
Un silence se fit. Les philosophes, le Grand Prêtre et l'astrologue
étaient scotchés. Le chef de cabinet ne semblait
pas impressionné une seconde. On l'entendait presque penser
sa phrase fétiche : " tant que la Tour avance, moi...
" Les ingénieurs avaient l'air perplexes. Le premier
reprit la parole :
- On ne peut pas utiliser cette brique pour TOUT l'étage,
c'est impossible. Tous nos calculs ont été faits
à partir de la brique standard, c'est-à-dire 11
centimètres sur 22, et 6 centimètres de hauteur.
Ce... machin fait 6,5 centimètres (virgule cinq !) sur
12 et seulement 5 centimètres de hauteur. Je ne suis même
pas sûr qu'elle corresponde aux normes minimales de sécurité.
A peu de choses près, il faudra deux fois plus de briques,
soit plus de main d'uvre, plus de ciment, et plus de risques
d'erreurs.
L'architecte l'interrompit en signalant que question erreurs,
on n'en était plus à ça près, mais
l'ingénieur l'ignora. Il enchaîna en signalant qu'en
résumé il n'allait pas recommencer ses calculs parce
qu'un petite tapette d'architecte avait pondu un " concept
", et que ce n'était certainement pas ces briques
de pédé qui allaient soutenir la Tour. La "
petite tapette d'architecte " fit doucereusement remarquer
que si on appliquait les théories " subtiles "
de son impétueux et néanmoins cher collègue,
il ne resterait plus dans la Tour que des piles énormes
avec un petit peu de place autour pour laisser passer les agents
d'entretien, et ce dès le 28è étage ! Le
" cher collègue " répliqua que peut-être,
mais qu'on n'était pas non plus obligés d'habiter
ou d'utiliser absolument TOUS les étages de la Tour, et
qu'il existait des contraintes dont on ne pouvait pas s'affranchir,
et que malheureusement il semblerait que bien peu de personnes
en ait conscience. Le chef de cabinet s'était alors interposé
en disant d'une voix forte qu'aucun peuple ayant toute sa tête
n'accepterait de payer des impôts pour une Tour composée
uniquement de poteaux, même s'il restait de la place pour
les agents d'entretien, et qu'il n'était pas question d'entamer
les finances publiques pour une Tour qui ne servirait à
rien. Le Grand Prêtre s'était indigné qu'à
partir du moment où la Tour progressait vers les cieux,
elle était utile, et que peu importe ce qu'on faisait des
étages, et les ingénieurs approuvèrent de
la tête. Le chef de cabinet s'insurgea en criant que c'était
certainement pas en suivant les théories stupides d'idéalistes
de votre calibre qu'on dirige une nation. Les ingénieurs
furent tout surpris de s'entendre traiter d'idéalistes,
et ils regardèrent avec surprise l'architecte qui fit un
geste avec ses mains pour leur signifier qu'il était aussi
surpris qu'eux puisque, d'habitude, c'était lui l'idéaliste.
Il y eut un petit flottement qui fit que la discussion ne tourna
finalement pas au pugilat, et tout le monde fut surpris de voir
le calme revenir si vite. Le chef de cabinet en profita pour clore
la discussion :
- Maintenant qu'on a dimensionné les piles et choisi le
matériau, que reste-t-il à l'ordre du jour?
- L'observatoire, si je peux me permettre, fit l'astrologue d'une
voix mal assurée. On ne peut pas remettre indéfiniment
le problème de l'observatoire de GT en GT. Le E26 est d'une
hauteur suffisante pour profiter d'une visibilité inégalée
jusqu'à maintenant.
Le chef de cabinet répondit après un soupir :
- Monsieur l'astrologue, nous avons la même discussion depuis
le E15. L'observatoire est prévu depuis le départ
pour le dernier étage de la Tour où la visibilité
sera maximale. Et je vous rappelle qu'il est hors de question
de construire deux observatoires sur cette Tour.
L'astrologue implora :
- J'en suis parfaitement conscient, bien sûr, mais attendre
le dernier étage ! J'ai l'impression qu'il n'arrivera jamais
!
- Foutaises, fit le Grand Prêtre, bien sûr que si
qu'il arrivera !
- Mais c'est pas pour demain, reprit timidement l'astrologue.
Il faudrait peut-être alors construire un observatoire provisoire,
avec juste le strict nécessaire, les instruments seraient
déménagés au dernier étage le jour
venu, et le local pourrait être réutilisé
par la suite, non ?
- Je pense que nous savons tous ici ce qu'il advient du provisoire,
répondit un philosophe. Nous avons tous en mémoire
les baraquements supposés " provisoires " qui
ont été construits à la va-vite autour de
la Tour pour accueillir les ouvriers que nous avons fait venir
des quatre coins du pays. Il était prévu de les
reloger dès l'inauguration dans les premiers étages
de la Tour, dans les premiers logements. Mais la publicité
faite autour du projet et l'engouement qu'il a suscité
ont provoqué une flambée des prix des logements
dans la Tour, et les promesses initiales ont vite été
oubliées, et les ouvriers sont dans leurs baraquements
d'origine depuis trente ans, alors que ceux-ci n'ont été
construits que pour durer dix ans. Alors imaginez un peu ce qui
se passera lorsqu'on arrivera au dernier étage, les passions
que va générer cet espace unique dans l'histoire
de l'humanité ! S'il existe déjà un observatoire
ailleurs dans la Tour, je crains que celui du dernier étage
ne passe à la trappe.
- Bien sûr, renchérit l'autre philosophe, mais n'est-ce
pas là un argument POUR, au contraire ? Je veux dire, quelles
sont les chances pour que le projet de l'observatoire voie le
jour au dernier étage ? Parce que ça discute déjà
sec autour de ce mystérieux étage, et je pense que
plusieurs d'entre nous en sont parfaitement conscients, pas vrai
? J'ai entendu parler d'une pétition qui circulerait dans
le milieu religieux afin de faire une requête auprès
du roi pour que le dernier étage soit un lieu de culte.
Il regarda le Grand Prêtre qui toussota légèrement
et se mit à fixer les papyrus des ingénieurs. L'autre
philosophe renchérit :
- Je crains de toute façon que leur pétition n'ai
aucun effet. J'ai quant à moi ouï dire que la cour
du Roi fait pression sur ce dernier pour que ses appartements
soient au sommet, tandis que la Cour aurait les siens juste en
dessous bien entendu.
Le chef de cabinet ne répondit pas à l'insinuation.
Cela faisait longtemps que ces bruits et bien d'autres circulaient
sur l'étage final. Tous les projets, même les plus
saugrenus avaient déjà été évoqués
au moins une fois : une table d'orientation pour pouvoir observer
l'ensemble du royaume, un terrain de sport pour profiter d'une
gravité plus faible, un lieu de méditation, une
piscine, rien, des canons (pour la défense du royaume),
tout semblait possible. Le seul projet qui ne revenait jamais,
c'était l'observatoire que l'astrologue était le
seul à revendiquer, " puisqu'on l'avait dit, on le
fera, non ? " Le premier ingénieur brisa le silence
:
- Je ne suis pas sûr que ce soit la peine de se prendre
autant la tête pour ce fameux " dernier étage
". Comme on est partis, on y est peut-être déjà
!
Avant que le chef de cabinet qui avait bondi ne puisse répondre,
l'architecte glissa :
- Je crois qu'il vaut mieux s'en préoccuper très
vite au contraire, parce que dans trois étages il n'y aura
plus la place que pour des poteaux.
Alors que l'architecte et les ingénieurs recommençaient
à s'engueuler et que l'astrologue, en proie à une
confusion extrême, se mettait à trembler, le chef
de cabinet se prit la tête dans les mains et murmura "
mais qu'on la finisse cette putain de Tour, qu'on la finisse bordel
". Les philosophes discutaient entre eux d'un air entendu.
Le chef de cabinet se reprit et déclara :
- Bon, monsieur l'astrologue, je crois que le problème
de l'observatoire est très complexe, et que nous aurons
du mal à le tirer au clair aujourd'hui. Je propose de nommer
dès demain une commission présidée par messieurs
les ingénieurs qui y réfléchisse sérieusement.
Nous reprendrons cette discussion lorsqu'elle aura rendu ses conclusions.
- Oui mais quand ? supplia l'astrologue.
- Je lui donne un délai de trois mois. Le point suivant
à l'ordre du jour concerne la circulation, la distribution
d'eau et les déchets. Si j'en crois votre rapport, monsieur
l'ingénieur, les escaliers sont sous - dimensionnés,
les canalisations sont trop petites, et les tunnels de descente
des ordures atteindront leur capacité maximale dans un
étage seulement.
- La Tour, commença l'ingénieur...
- Est sous - dimensionnée, termina le chef de cabinet,
on s'en serait doutés. Ecoutez, je suis bon prince, je
nomme une commission chargée de la circulation présidée
par monsieur l'astrologue, une commission chargée de l'eau
présidée par messieurs les philosophes, et enfin
une commission chargée des déchets présidée
par monsieur l'architecte. Ca y est, tout le monde a sa commission,
hé bien je crois qu'on peut lever la séance.
L'architecte fit la grimace.
- Mais, mais, bégaya l'ingénieur, ils n'y connaissent
rien en...
- Monsieur l'ingénieur, je ne vous permets pas de préjuger
des compétences de vos collègues. Dans trois mois,
on y verra beaucoup plus clair. Voilà, monsieur l'architecte,
il ne vous reste plus qu'à nous dessiner ce magnifique
futur étage vingt six. On découvrira vos premières
esquisses dans un mois, à la prochaine réunion du
GT 26. Des questions ?
Tout le monde resta scotché par cette conclusion. Personne
n'osait plus rien dire. Alors que le chef de cabinet était
presque sorti, l'architecte leva timidement la main :
- Mais, je... je mets un observatoire ou quoi dans mon projet
?
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